Il était une fois, sept hommes, debout, le long d’une ligne de départ. Pas de chemin délimité, pas de marque au sol.
Ils s’étaient naturellement placés les uns à côté des autres, les yeux rivés vers l’horizon. Les participants constatèrent qu’il n’y avait, face à eux, aucun chemin balisé mais une étendue sauvage et vallonnée. Ils n’avaient pas eu connaissance d’une règle et aucun arbitre n’avait été désigné. Ils eurent toutefois l’instinct que leur épreuve était d’avancer, aussi loin qu’ils le pourraient, vers cette lumière qui semblait percer les cieux.
Les compagnons restèrent immobiles, quelque instants, attendant une impulsion, un signal de départ. C’est alors que l’un d’eux en profita pour s’élancer à toutes jambes, droit devant lui. Les autres, incrédules lui emboîtèrent le pas en partant d’un coup.
Tous ensemble comme un seul, déterminés à ne pas perdre celui qui était déjà tout désigné comme leur leader.
Soulagés d’avoir enfin un but à suivre, ils couraient, infatigables, toujours tout droit sans un regard en arrière. Le premier homme fonçait avec une détermination sourde, ignorant la nature, ses chants et ses odeurs, piétinant tout ce qui se trouvait sur son passage.
Les autres coureurs focalisées sur la silhouette furtive de leur concurrent ne voyaient même plus la lumière du ciel. Ils se feintaient et se donnaient des coups d’épaules dans leur ruade folle, leur objectif était de le rattraper, lui, coûte que coûte. Inspirés par la force qu’ils soupçonnaient en lui, ils avaient acquis la conviction mutuelle et muette qu’il détenait la vérité et le chemin.
Mais l’homme dominant était en prise aux doutes, il avait beau avancer, l’arrivée semblait sans cesse repoussée. Cette lumière si forte au départ, lui semblait perdre de son éclat. Épuisé, il finit par ralentir et, dans une marche lente, erra au hasard, tenaillé par le trouble. Son cœur était plein de solitude et d’incompréhension.
Alors il se recroquevilla sur lui-même et se mit à pleurer, longtemps, jusqu’à ce que son esprit lui semble se vider. Il était de plomb et ne pouvait plus avancer. Ses poursuivants le virent, immobile. La confusion régna pour céder vite à la panique.
Les hommes, rassemblés s’accusèrent mutuellement de leur sort, se disputèrent et se dispersèrent. Quand le calme fut revenu, ils réalisèrent leur solitude et, sans paroles, se rassemblèrent à nouveau. C’est alors ici-même qu’ils s’établirent et se sédentarisèrent. Peu à peu, sous le commandement de leur chef, ils défrichèrent, creusèrent et rasèrent l’endroit qu’ils avaient désigné comme territoire.
Le feu qu’ils avaient apprivoisé était leur nouvelle lumière divine. Ils s’inclinèrent devant son pouvoir de destruction. L’Homme était devenu leur roi soleil et ils ne regardèrent plus le ciel.
Ce que je ne vous ai pas révélé c’est que six hommes seulement avaient débuté la course ce jour là. Le septième homme était resté immobile à observer le départ du groupe. Il avait prit le temps d’étirer son corps, d’entraîner sa respiration. De sentir la grâce du soleil et la caresse du vent.
Lorsqu’il se décida à démarrer, son cœur fut enchanté par toutes les merveilles qu’il découvrait sur le chemin. Il contempla avec joie les richesses qui s’offraient à lui pour leur rendre hommage. Sa route fut longue mais le pas du pèlerin était léger et un sourire tranquille se dessinait sur son visage.
Au hasard de sa route, il finit par découvrir le village des hommes.
Ces derniers, d'abord méfiants finirent par accueillir le vagabond par curiosité. L'étranger leur fit le récit de son chemin, à grand renfort de détails avec un enthousiasme non dissimulé. Les hommes l’écoutèrent, amusés et s’en trouvèrent divertis.
Dans la nuit, le marcheur reprit sa route. Les villageois se souvinrent de lui comme d'un fou. Certains le nommèrent sorcier et de cette rencontre naquirent des histoires et des chansons. On ne retrouva pas d’autres témoignages de son existence si bien, qu’on douta même qu’il ait un jour vécu.
Le septième homme continua simplement sa vie, intégré à son environnement, éclairé par la sagesse de la nature. Un soir, il eu l’intuition que sa fin était proche alors il usa de ses dernières forces pour grimper en haut d’une montagne qui lui semblait l’appeler. Il s’assit dans la position du lotus, les mains tournées vers le ciel. L’ensemble de son corps se mit à irradier de lumière. C’est ainsi que l’homme disparut dans l’horizon.
Avait-il vraiment vécu n’ayant rien bâti ?
S’il n’était personne, que serait-il pour le monde?
Certains continuèrent à propager la légende qu’il continuerait à vivre à travers l’esprit des artistes ou des conteurs, qui, les yeux tournés vers les étoiles, auraient su capter un peu de sa lumière.